Eléments d'écologie marine - les facteurs physiques
L'influence des facteurs physiques est en général plus nette pour l'observateur néophyte que celle des autres facteurs écologiques. Ces facteurs sont de plus facilement perceptibles pour les humains que nous sommes. Les principaux facteurs physiques rencontrés dans les milieux fréquentés par les plongeurs sont la lumière, la température, l'agitation et la nature physique du substrat. Il existe d'autres facteurs physiques qui peuvent avoir un impact important sur tel ou tel milieu. La pression est un exemple de facteur physique, mais qui n'a que peu ou pas d'impact dans la zone d'évolution des plongeurs (on ne peut évidemment pas en dire autant pour les espèces abyssales). De même, la concentration en matières en suspension peut s'avérer déterminante pour la survie de certaines espèces.
1°) La lumière
La lumière évolue en quantité et en qualité avec la profondeur, les radiations rouges étant absorbées dès les premiers mètres. La répartition des animaux et des végétaux suivra cette évolution. Les espèces qui aiment la lumière sont appelées
photophiles (beaucoup d'algues, certains cnidaires, tout particulièrement ceux dotés de
zooxantelles). A l'inverse, les espèces vivant dans des zones moins éclairées sont dites
sciaphiles (corail rouge,
Leptopsammia, etc.). Il est d'usage de distinguer trois zones en fonction de la quantité de lumière reçue :
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la zone euphotique est la zone couramment explorée en plongée, dans laquelle la quantité de lumière disponible permet à la photosynthèse d'obtenir un rendement positif (plus de gaz carbonique consommé que produit). Chaque végétal possède, en fonction de ses pigments et de son adaptation, un éclairement limite en-deçà duquel le rendement de la photosynthèse devient négatif. La profondeur correspondante est appelée profondeur de compensation. Elle varie évidemment avec la clarté de l'eau. La zone euphotique s'étend couramment jusqu'à 200 m de profondeur.
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La zone oligophotique est une zone dans laquelle pénètre toujours un peu de lumière, mais en quantité trop faible pour que la photosynthèse se fasse de façon correcte et pérenne. Cette zone s'étend généralement de 200 m à 500 m en Méditerranée.
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La zone aphotique est caractérisée par l'absence quasi-complète de lumière. C'est le royaume des poissons abyssaux.
Il est bien évident que les conditions locales peuvent permettre à des espèces sciaphiles de se développer dans des zones proches de la surface, par exemple sous des surplombs ou à l'entrée des grottes.
L'algue verte Palmophyllum crassum peut être rencontrée en Méditerranée jusqu'à 200 m de profondeur.
On a longtemps cru et enseigné que la répartition des algues selon la profondeur était liée à leurs pigments : algues vertes à proximité de la surface, suivies des algues brunes, et enfin des algues rouges qui occupent les profondeurs. Cette croyance était liée à l'observation de la répartition des algues sur les côtes européennes. Les connaissances ayant évolué, on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. On trouve autant d'algues rouges photophiles que d'algues vertes sciaphiles, vivant en profondeur.
Les grottes permettent aux espèces sciaphiles de remonter beaucoup plus près de la surface qu'elles ne pourraient le faire sur un fond sans anfractuosités. Il en va de même des épaves, qui peuvent offrir des zones de pénombre et d'obscurité totale à quelques mètres de profondeur.
2°) La température
L'agitation superficielle de la mer facilite les échanges thermiques entre l'eau et l'atmosphère, tandis que les zones profondes ne sont guère soumises qu'aux courants et aux éventuels transferts de chaleur par conduction. Ainsi, il est classique de diviser le milieu en deux zones en fonction de la profondeur :
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Dans la zone superficielle, la température varie fortement selon les saisons, et rapidement avec la profondeur. Les échanges thermiques avec l'atmosphère et l'agitation en sont la cause.
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Dans la zone profonde, la température est pratiquement constante, diminuant très légèrement avec la profondeur, pour atteindre environ 4°C dans les profondeurs des océans (mais 12°C en Méditerranée, grâce à l'effet de seuil du détroit de Gibraltar).
En été, dans les eaux qui ne sont pas trop agitées, la séparation entre les eaux réchauffées et l'eau plus froide des profondeurs est franche, et nettement perceptible par le plongeur. Il s'agit de la thermocline.
Certaines espèces supportent de très fortes variations de température. Elles sont dites eurythermes et peuvent se développer sur de vastes étendues, presque indépendamment de la saison. D'autres espèces, au contraire, ne supportent que très mal les variations de température, et doivent donc migrer en fonction de la température, ou vivre en profondeur (ou sous les tropiques...). Ces espèces sont dites sténothermes. Les espèces qui aiment les températures élevées sont dites thermophiles, terme qu'il ne faut pas confondre avec les deux concepts évoqués précédemment.
Les espèces vivant dans les mares de l'étage médiolittoral doivent supporter de très larges variations de température au cours d'une journée (forte élévation de température, par exemple, lorsque la mare est soumise au rayonnement solaire en été à marée basse). Les espèces présentes sont donc systématiquement des espèces eurythermes.
Les conditions thermiques des eaux tropicales sont en général beaucoup plus stables que celles rencontrées dans nos eaux. Les espèces tropicales sont donc fréquemment sténothermes, à affinité chaude, comme le savent bien les aquariophiles.
Dans nos eaux, la posidonie ne fleurit généralement qu'après un été chaud, comme ce fût le cas en 2003 et, plus récemment, en 2015.
Espèce sténotherme froide par excellence, Findus vulgaris présente de remarquables adaptations physiologiques aux grands froids : ses écailles se sont modifiées en panure, les yeux ont régressé au point de totalement disparaître, la forme du corps permet à cette espèce de vivre en bancs compacts de six à douze individus. Son mode de reproduction est encore inconnu.
3°) L'agitation
On distingue plusieurs "modes" selon l'impact de la houle et des courants. Les deux modes extrêmes sont le mode battu, caractérisé par une action forte de la houle et où ne peuvent résister que les animaux et végétaux spécialement adaptés à ce milieu inhospitalier, et le mode calme, à l'abri des courants et de la houle. Il existe naturellement une transition continue entre ces deux modes (on parle ainsi de mode semi-battu, etc.).
Les adaptations développées pour la survie en mode battu sont nombreuses. On peut citer pêle-mêle :
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la forme (éponges encroûtantes, chapeau des patelles, etc.) qui permet de réduire l'emprise des courants ;
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la consistance (certaines éponges de cette zone sont extrêmement compactes, des végégaux présentent au contraire une consistance caoutchouteuse) ;
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le regroupement dense (cas des balanes ou des moules), utilisant au mieux "l'union fait la force" ;
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les dispositifs spéciaux d'adhérence (crampons, ventouses, byssus des moules, etc.).
En mode calme, la prédilection de la nature va aux surfaces importantes, offrant de large contacts avec le courant, et aux animaux ou végétaux peu ou mal ancrés.
Le corail rouge présente parfois un faciès très particulier, lorsqu'il pousse sur des surplombs soumis à l'agitation des vagues : au lieu de présenter les belles branches qu'on lui connaît classiquement, il ne forme alors que des masse aplaties.
L'éponge Axinella polypoides est une espèce protégée typique de l'étage circalittoral méditerranéen, apparenté à un mode calme. Son développement important ne serait pas possible dans les eaux agitées plus proches de la surface.
En zone battue du littoral atlantique ne subsiste qu'une seule espèce de fucus : Fucus vesiculosus perd alors ses flotteurs, qui n'aident pas à résister à la force des vagues, pour prendre une forme appelée evesiculosus, typique du mode battu.
Contrairement à ce que pourrait nous laisser croire notre sens logique, pas très adapté au milieu marin, c'est en mode calme que les coquillages doivent avoir les coquilles les plus résistantes. En effet, leur principal prédateur, le crabe vert Carcinus maenas, ne supporte pas le mode battu mais abonde en mode calme, où il dispose de tout son temps pour s'attaquer à ses proies, lesquelles doivent donc être capables de résister à la redoutable force des pinces de ses assaillants. En mode battu, les coquillage présentent une coquille légère (ce qui diminue l'effet d'inertie dans la houle) et une ouverture plus large, offrant ainsi une plus grande surface de contact avec le substrat (et donc une meilleure adhérence).
4°) Les matières en suspension
Les matières en suspension sont présentes de manière naturelle dans le milieu, parfois de manière très abondante (milieu estuarien par exemple). L'activité de l'homme peut parfois accroître de façon très significative la présence des matières en suspension, ce qui aura deux effets :
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Un taux plus élevé de matières en suspension dans l'eau se traduit par une augmentation de la turbidité, et donc un moindre éclairement pour une même profondeur par apport à une eau moins riche en matières en suspension. Les espèces végétales auront donc tendance à disparaître plus tôt dans ces milieux perturbés.
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Lorsque ces matières en suspension se déposent, elles vont recouvrir le sol et asphixier les espèces qui pouvaient s'y trouver. Un faible nombre d'espèces sont capables de survivre à cet envasement, ce qui conduira à une modification profonde de l'écosystème et à un appauvrissement général des lieux. Cette situation est celle que l'on rencontre classiquement dans les zones portuaires.
Les zones portuaires présentent des fonds qui ne sont généralement pas très attrayants pour le plongeur (et encore moins pour la faune et pour la flore locale !). Certaines espèces, comme ici l'araignée de mer Maïa squinado, arrivent à survivre en milieu très envasé.
5°) La nature physique du substrat
Chaque plongeur a pu constater que la vie n'était pas la même sur du sable que sur de la roche (voir
page précédente). Le rocher, ou toute surface dure similaire, permet un développement de styles de vie particulièrement variés. On y rencontre ainsi:
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des végétaux ou animaux vivant à la surface de la roche (épibiontes);
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des animaux foreurs (endobiontes), tels que les éponges cliones ou les phollades ;
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des animaux ou des végétaux vivant à la surface d'autres végétaux (épiphytes) ou d'autres animaux (épizoïques) ;
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voire même parfois des animaux ou végétaux vivant à l'intérieur d'autre végétaux (endophytes) ou d'autres animaux (espèces endozoïques).
Sur les fonds détritiques (sable et vase), la diversité des modes de vie est moindre. On y rencontre des fouisseurs (comme les vers, qui peuvent élaborer des galeries), des prédateurs errants et des animaux simplement fichés dans le sédiment, comme les vérétilles.
Les animaux fixés à demeure et qui ne peuvent se déplacer sont dits sessiles (c'est le cas des gorgones, des bryozoaires, etc.). Les animaux qui pourraient se déplacer mais qui bougent peu sont dits sédentaires (chitons, échinodermes, patelles, etc.). Les autres animaux sont qualifiés d'errants.
Enfin, certains animaux ne sont inféodés à aucun type de substrat, pour la bonne raison qu'ils vivent en pleine eau (méduses, poissons, etc.). Ces animaux sont appelés pélagiques, par opposition aux animaux vivant sur le fond qui sont appelés benthiques. Ceci ne signifie pas qu'ils ne sont pas sensibles aux autres facteurs cités précédemment.
Espèce pélagique par excellence, le poisson lune Mola mola peut être rencontré par les plongeurs en été. Malgré son apparente indolence, il ne tardera pas à distancer rapidement le plongeur qui voudrait trop s'approcher de lui.
A l'inverse, les poissons plats, comme ici Bothus podas, sont des poissons typiquement benthiques, qui ne quittent le fond que pour décoller de quelques centimètres.
Certaines espèces de poissons, comme le corb, ne vivent pas directement sur le fond, et ne peuvent donc pas être qualifiées de benthiques, mais vivent à proximité du fond. On les qualifie d'espèces démersales.
L'anémone Paranemonia cinera vit sur les feuilles de posidonies et peut donc être qualifiée d'épiphyte.
Parerythropodium coralloides croît pour sa part sur les rameaux de gorgones. Il est donc qualifié d'épizoïque.
La serpule, Serpula vermicularis, est un bon exemple d'espèce sessile, fixée au rocher.
La langouste, Palinurus elephas, est par contre un bon exemple d'espèce sédentaire. Si elle est capable de se déplacer, elle reste cependant fidèle à son repère.
L'éponge clione, Cliona celata, est une éponge endobionte, perforant la roche calcaire dans laquelle elle vit. Cette éponge peut également s'incruster dans les coquilles d'huître, provoquant alors la "maladie du pain d'épice" chez ce bivalve, ce qui le rend impropre à la vente. L'éponge est donc redoutée des ostréiculteurs.