Eléments d'écologie marine - les facteurs chimiques
Les principaux facteurs chimiques ayant un impact sur les biotopes marins sont l'humectation, la salinité, le pH, la nature chimique du substrat et enfin la pollution
1°) L'humectation
Un certain nombre d'animaux ou de végétaux marins sont capables de survivre pendant une certaine période hors de l'eau, tout particulièrement ceux qui se trouvent dans la zone de balancement des marées (étage médiolittoral). Le degré d'humectation du milieu détermine pour une large part la zonation de la partie émergée du littoral (étage suppralittoral) et de l'étage médiolittoral : les espèces les plus sensibles à l'émersion seront rencontrées dans l'horizon inférieur du médiolittoral. Les espèces qui, au contraire, ne nécessitent qu'une humectation légère apportée par les embruns se rencontreront dans l'horizon supérieur du suppralittoral. Les espèces qui ne supportent pas une immersion permanente seront généralement rencontrées dans l'étage suppralittoral (mais, à marée basse, les espèces inféodées à l'étage suppralittoral, comme les insectes, peuvent évidemment vaquer librement dans l'espace laissé momentanément libre par la mer).
Les mécanismes mis au point par les animaux ou les végétaux pour résister à ces émersions sont diversifiés :
- rétention d'eau
- réduction des pertes d'eau
- vie ralentie
- sécrétion d'un mucus épais
La patelle (ici Patella vulgata), qui ne se déplace qu'à marée haute, emprisonne de l'eau sous sa coquille, étroitement soudée au rocher à marée basse.
Les chtamales (ici Chatamlus montagui), qui voisinent avec les patelles mais qui sont fixés au rocher, utilisent la même stratégie à marée basse.
Le crabe Pachygrapsus marmoratus, fréquemment rencontré dans le supralittoral méditerranéen (mais dont l'aire de répartition remonte aujourd'hui jusqu'à la Manche), remplit également sa carapace d'eau pour ses séjours hors du milieu aquatique.
Le crabe vert Carcinus maenas est capable de vivre plusieurs jours émergé. Il optimise ses besoins en eau grâce à des phénomènes de régulation complexes. Cette adaptation est fréquemment rencontrée chez les crabes (ce qui facilite leur transport jusqu'à l'étal du poissonnier!).
La tomate de mer (ici Actinia fragacea) réduit pour sa part son métabolisme de manière importante lorsqu'elle est émergée, ceci afin de réduire ses besoins en eau.
Certaines espèces animales, comme l'anguille ou la blennie, sont par ailleurs capables de sécréter un mucus épais qui les protège de la déshydratation. Ces poissons peuvent alors survivre hors de l'eau pendant une durée relativement longue.
La blennie Lipophrys pholis, couramment appelée baveuse, survit hors de l'eau à marée basse, grâce à la sécrétion d'un abondant mucus. On notera l'efficacité du camouflage de cette espèce dans son milieu habituel.
2°) La salinité
Certaines espèces peuvent supporter de très fortes variations de salinité. Ces espèces sont dites euryhalines. On les rencontre fréquemment dans les estuaires ou les lagunes, mais également dans les mares, où l'évaporation peut accroître très rapidement la salinité. Ces animaux ou ces végétaux vivent donc essentiellement dans les eaux superficielles, où elles bénéficient d'un avantage compétitif.
A l'opposé, certaines espèces ne supportent pas de forts écarts de salinité. Elles sont appelées sténohalines et vivent généralement en profondeur ou au large, où les caractéristiques physico-chimiques de l'eau restent pratiquement constantes.
Il faut noter que bien peu d'animaux sont capables de vivre alternativement en eau douce et en eau de mer. Ceci est notamment le cas des poissons migrateurs amphibiotiques (par opposition aux migrateurs holobiotiques qui ne migrent qu'en mer ou qu'en eau douce), comme le saumon et l'anguille. Ces animaux doivent modifier radicalement leur comportement physiologique lorsqu'ils changent de milieu : en eau douce, l'eau pénètre dans leur sang par osmose et tend à diluer le plasma sanguin. Le poisson doit donc uriner fréquemment pour compenser cette dilution (et boire peu). Au contraire, la concentration en sel du plasma a tendance à s'accroître en eau de mer, la salinité de l'eau de mer (environ 30 g/l) étant supérieure à celle du sang [raccourci simplificateur que voudront bien me pardonner les puristes, je développerai peut-être plus tard la notion d'osmomolalité...]. L'animal doit donc boire fréquemment et uriner peu.
Bien que n'étant pas un poisson migrateur, le bar Dicentrarchus labrax est capable de remonter assez profondément dans les cours d'eau, certains individus semblant même s'acclimater à vie au milieu dulçaquicole. Les capacités d'osmorégulation de ce poisson d'intérêt commercial ont fait l'objet de nombreuses études. A la naissance, les jeunes individus ne disposent pas de capacité d'osmorégulation très efficaces. Ces capacités apparaissent très vite puisqu'un individu de 17 cm de long est déjà doté des capacités d'un adulte.
3°) Le potentiel hydrogène (pH)
Le pH du milieu joue un rôle fondamental dans la répartition des espèces. Ce paramètre peut varier de manière très importante dans les mares de l'espace médiolittoral, le pH étant directement lié à la concentration en gaz carbonique de l'eau, et donc notamment à la respiration des espèces végétales ou animales. Il est par contre stable au large, la valeur moyenne des eaux marines superficielles étant légèrement supérieure à 8. L'eau de mer dispose naturellement d'un pouvoir tampon important, qui limite les variations de pH. Les eaux douces sont, sur ce point, nettement plus fragiles et il n'est pas rare d'observer dans un milieu eutrophisé, très riche en algues, des variations sur la journée allant de 4 (en fin de nuit, les algues ayant relargué des quantités importantes de gaz carbonique) à 10 (en fin de journée), ce que les espèces animales supportent très difficilement.
Il est difficile de trouver une photo illustrant l'impact du potentiel hydrogène sur le milieu... Vous pouvez toujours utiliser du papier pH pour tester la valeur de ce paramètre sur vos lieux de prospection.
4°) La nature chimique du substrat
La nature chimique du substrat peut parfois jouer un rôle important pour la fixation de certaines espèces animales ou végétales.
Ainsi, la rhodophycée Rissoela verrucosa ne se développe que sur des substrats riches en silicates (cette algue est qualifiée pour cette raison de calcifuge). Rissoela verrucosa, dont la couleur tire davantage sur le brun que sur le rouge ce qui induit plus d'un biologiste amateur en erreur, est une algue caractéristique de l'horizon supérieur de l'étage médiolittoral. On la voit ici au-dessus d'un trottoir à Lithophyllum tortuosum.
Inversement, des éponges comme les cliones (ici Cliona celata), qui aiment perforer la roche sur laquelle elles se trouvent, préfèrent très nettement les roches calcaires, qu'elles peuvent attaquer grâce à des sécrétions acides.
5°) La pollution
La pollution des eaux peut modifier localement de façon très importante les caractéristiques chimiques des eaux. Certaines espèces supportent très bien des élévations importantes de concentration en certains éléments. Pour ne citer que deux exemples, qui sont souvent symptomatiques d'une pollution d'origine anthropique, on peut citer le soufre (espèces dites thiophiles) ou l'azote (espèces dites nitrophiles). La rencontre de telles espèces est en général l'indication d'un milieu dégradé. Elles peuvent naturellement exister dans des zones saines, mais la compétition qui les oppose alors aux autres espèces tourne rarement en leur faveur. Certaines espèces animales ou végétales sont au contraire représentatives d'une eau de bonne qualité. La posidonie est un bon exemple d'un tel indicateur.
La chlorophycée Blidingia minima, fréquemment rencontrée sur les rochers dans les zones portuaires, est un indicateur de milieu perturbé.